C'est quoi ce travail ?

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1. Que faut-il inventer dans l’IAE comme dispositif adapté aux plus en difficulté ?

Un accompagnateur socio-professionnel (droite) et un Jardiniers Cocagne (gauche) au Jardin de Cocagne Les Anges Gardins © 2018 Jean-Philippe Berger

 

Animateur : Jean Philippe Paveau (ingénieur social : enfance / handicap / Jardins de Cocagne)

Témoin : Alain Poncet

 

1.  Témoignage Alain Poncet – Solid’action

Alain Poncet : administrateur du Réseau Cocagne, fait partie des fondateurs du réseau et porte depuis toujours les questions de la grande exclusion. Directeur de Solid’action.


Solid'action : lieu de vie et de travail près de Grenoble (St Hilaire du Touvet, 38). Accueille des personnes issues de la rue. La structure porte un AVA (Atelier d’Adaptation à la Vie Active) et 2 chantiers d'insertion. Structure qui a porté 2 expérimentations : EPIDA et ACI Hors les murs.

Expérimentation EPIDA : portée initialement par Solid’action, le Réseau Cocagne et le Secours Catholique, avec un œil attentif des ministères (dialogue avec DGAS et ministère du travail).

Expérimentation sur 12 chantiers d'insertion de Rhône Alpes, d'accueillir plus longtemps les personnes en parcours jusqu'à 5 ans.

Cela a prouvé que cet accueil plus long permet de remettre dans l'emploi des personnes qui n’y parvenaient pas sur un temps limité à 24 mois → permet de doubler le résultat d'insertion (même % de résultats positifs d'insertion sur la période 3-5 ans que sur la période < 2 ans).

Expérimentation terminée en 2014. Apports d’éléments pour réfléchir la réforme de l’IAE mais sans résultats. Travail qui a finalement abouti en 2017 à un article dans la loi El Khomri permettant d'accueillir désormais tous les publics jusqu'à 5 ans sous arguments (et pas seulement +50ans et publics handicapés comme le définissait la loi auparavant).

Le principe = accompagnement d’abord sur 24 mois avec des actions positives (immersions, formations), et si un diagnostic solide montre que la prolongation de la durée serait fructueuse, alors il n’y a pas de raison qu’il y ait un refus pour prolonger la durée d’accompagnement jusqu’à 5 ans. Cependant même si c'est inscrit dans la loi, les structures sont réticentes et ce n'est pas si facile à obtenir.

 

2 conclusions principales :

  •  « Avec plus de temps on insère plus de gens ». Mais attention toutes les structures ne savent pas accueillir sur la durée : cela nécessite un savoir-faire, une vision de cet accompagnement.
  • Importance de la qualité et la pertinence de l'outil de diagnostic.

Vrai travail à creuser selon Solid'action : cumuler des tests psychotechniques, des tests de personnalités, des entreprises qui acceptent d'évaluer en situation de travail, et évaluation sur l'ACI, idéalement avoir l'avis du psychiatre pour ceux qui acceptent. Tout cela donne un document assez objectif, qui permet d'argumenter à un instant T.

ACI Hors les murs : expérimentation de nouvelle forme de relation à l'entreprise. Une équipe intervient au cœur du process de l'entreprise (avec les tenues, le matériel et le règlement intérieur de l'entreprise). Pas d'ordres directs entre les salariés de l'entreprise et les salariés en insertion : le chef d'équipe est en interface. S’il y a un problème, c’est Solid’action qui gère (ex : vol).

Intérêt : les publics accueillis sont mis en vraie situation de travail, au cœur de l'entreprise (respect des normes de sécurité, des protocoles, être au milieu de tous les salariés), c'est très riche. Vigilance : seulement 1 jour /semaine car cela demande beaucoup de mobilisation dû au haut niveau d’exigence de l’entreprise. Le reste du temps travaillent dans l’activité classique de l’ACI.

Cela abouti parfois à des embauches.

Ne concerne pas que les publics les plus en difficulté. C'est un outil intéressant pour toute l'insertion : plus on les met dans l’entreprise, plus on a des chances de les insérer.

En général mettent une équipe mixte : 4 personnes proches de l’emploi + 1 personne très éloignée de l’emploi. Parfois les salariés n’y vont qu’une fois, mais cela leur permet de se rendre compte de la réalité de la vie en entreprise.

Origine : Lidl avait contacté le secteur du handicap pour ce chantier qui avait refusé et a réorienté vers Solid’action. L’équipe fait du tri de déchet carton, plastique, etc ... L’intervention de Solid'action rend l’ensemble des magasins plus propres. A un effet très positif sur l'ensemble des salariés de Lidl.

Dispositif délicat car apparenté à du prêt de main d’œuvre illicite (interdit par la loi). Solid'action a obtenu une dérogation, prolongée régulièrement, suite à la visite d'un inspecteur du travail mandaté par le Ministère. Il y a signature d'une convention pour bien fixer le cadre : il s'agit d'une prestation (payée à l'action), et non pas une mise à dispo de personnel (payé à l'heure).

 

2. Débats / échanges entre participants

Allongement de la durée d’accueil

Témoins multiples : nous avons des vraies difficultés à renouveler, même avant la fin des 2 ans.
Au-delà de 2 ans, pour l'instant nous n’y arrivons qu’avec des publics handicapés ou + 55 ans et c'est très difficile à obtenir !
Alain Poncet : Pourtant c’est dans la loi ! Il y a un problème de résistance à l’application de la loi.

Autre témoin : L’allongement de la durée d’accueil doit se faire à titre exceptionnel, ça ne doit pas prendre la place de quelqu’un d'autre.

Question posée : n’y a-t-il pas un effet inverse de l’allongement du temps d’accueil, avec des gens qui « s'installent » ?

Alain Poncet : si les gens s'installent c'est que le niveau d'exigence n'est pas assez élevé.

Il faut mettre un certain niveau d’exigence en place pour que la personne parte d’elle-même si la logique du dispositif d’insertion ne lui convient pas. On ne garde pas quelqu’un qui ne fait rien.
A Solid’action, on a créé un 2ème chantier d’insertion pour montrer le niveau d'exigence.

Logique de parcours, de progression : progression temps travail 26h -> 32h / progression dispositif AVA -> chantier insertion.

 

Etablir un bon diagnostic

Optim’ism (Lorient, 56) : Chez Optim’ism nous n'arrivons pas à établir un diagnostic précis. Les salariés sont accueillis pendant 3 semaines par SEV actions qui s’occupe de faire le diagnostic.

Est-ce que c'est à nous de faire le diagnostic avec la connaissance interne de la personne ou faut-il mieux l’externaliser avec une personne externe objective ?  Les 2 sont possibles.

Alain Poncet : Nous sommes prêts à partager nos outils de diagnostics, n’hésitez pas à nous contacter ! On pourrait développer un vrai outil de diagnostic au niveau du réseau ?

Témoin non identifié : Handicap psychique reconnu depuis 2005. C'est à nous d'identifier les gens et les problématiques. Y a-t-il d'autres formes de reconnaissances de difficultés ? Le diagnostic va-t-il y aider ? -> Non labellisé aujourd’hui. Le diagnostic permet juste de prolonger à 5 ans.


S’inspirer du secteur du Handicap

Alain Poncet : Il faudrait s'inspirer du secteur du handicap qui a beaucoup de choses à nous apprendre :

  1. eux ont le droit de faire du hors les murs collectif et individuel. Pourquoi l'insertion n'a pas le droit de le faire aussi ?
  2. s’inspirer du système 6% obligatoire de personnes handicapées dans les entreprises de 20 salariés, et paiement d’une amende par les entreprises qui ne le font pas (gérée par l’AGEFIP)

Daniel Frohard, Directeur d’ESAT (Plourivo, 22) : nous faisons effectivement souvent du « Hors les murs ». Le risque = se faire retoquer par l’inspection du travail pour délit de prêt de main d'oeuvre illicite, donc nous travaillons avec des conventions très bordées pour cadrer les choses et se protéger un maximum.

2 moyens d’entrer en relation avec l’entreprise :

  • Soit l’entreprise sollicite l'ESAT pour répondre à son obligation de 6% de travailleurs handicapés (les ESAT peuvent répondre à la moitié de ce besoin).
  • Soit l’ESAT est pris comme prestataire pour une action, comme un prestataire parmi les autres.


Adaptation du temps de travail sous d’autres formes de dispositifs

Alain Poncet : La loi a fixé une durée minimum de travail hebdomadaire à 20h. Pour pouvoir faire travailler quelques heures, certains font des montages avec des statuts d’AI (Associations Intermédiaires). Avec certains publics en très forte précarité, les paiements se font même parfois en espèces au jour le jour.


ASPIRE (Saumur, 49) : Depuis 4 mois, sur le Potager de Fontevraud, expérimentation du CUITR = CUI temps réduit pour des publics très éloigné de l'emploi. Travail en très petits groupes (5 personnes) et interviennent 2 demi-journées de 4h par semaine. Récent donc peu de recul sur le dispositif. Cela a été négocié avec le département qui finance l'action.

Référente Département 49 : avant il y avait l’expérimentation des CUI de 7h, mais ont arrêté de financer l'expérimentation.

Cependant en CUI-CAE il est possible de faire des contrats de moins de 20h (pour l’instant ces contrats existent encore). Seul le département les finance, prise en charge à 95%.

Terre solidaire (Planaise, 73) : Pendant des années ont accueilli des AVA, contrats jusqu'à 18h. C’était intéressant, il y a eu quelques résultats, notamment quelques personnes passées ensuite en contrats d'insertion. Dispositif supprimé l'an dernier par décision de l'Etat.

Alain Poncet : en effet les AVA sont financés sur les mêmes lignes que les CHRS, donc les 1ères restrictions budgétaires se font sur les AVA.

Laure Paveau, Asso Julienne Javel (Chalezeule, 25) : utilise beaucoup le dispositif AVA. CHRS sur site, la moitié des AVA sont en projet de soin (notamment sur l’abstinence). Arrivent à transformer des parcours AVA en CAE. Mais savent qu’il y a un risque de 1ères lignes de suppression s’il y a des restrictions budgétaires.


Association TARMAC (Le Mans, 72) : Avant étaient CHRS et ont été transformés en AVA, ce qui a permis de préserver les ateliers.

Eclairage sur ce dispositif : Globalement les CHRS sont à la manœuvre sur ce type de publics (car lieu d’hébergement et lieu de travail). 2 statuts alternatifs existent pour ces publics, s’inscrivant dans la dimension temps de travail : AVA (Atelier d’Adaptation à la Vie Active) et OACAS (statut des communautés EMMAUS, ouverts à tous depuis la réforme).

Cela rentre dans le code social de l'action des familles. C’est défini dans la loi par « défaut » = peuvent rentrer en AVA ceux qui ne sont pas éligibles à l'IAE. C’est en dehors du cadre du code du travail, ce qui complique car cela ne rentre pas dans les cases pour répondre par exemple à des appels à projets.  

Selon Alain Poncet c'est une force car cela offre de la souplesse pour ces publics si spécifiques. Selon Laure Paveau il ne devrait pas y avoir de frontière, cela pourrait être très bien intégré dans le dispositif IAE.

à Aujourd'hui il n’y a plus de possibilités administratives pour monter de nouveaux AVA. Seuls les anciens dispositifs peuvent perdurer. Pourtant il faudrait faire reconnaître les bienfaits de ce dispositif pour le faire évoluer et le développer.

 

Que faire des publics peu rentables pour l’entreprise ?

Exemple des publics lents : ils sont en difficulté et il n’y a pas de dispositif pour ces personnes : que fait-on ?

Ludovic VALLEE, ASPIRE (Saumur, 49) : les personnes lentes ne sont pas assez rentables pour une entreprise traditionnelle, comment les accompagner au mieux, leur trouver une porte de sortie, un mode d’intégration pérenne ?

Les SIAE peuvent apporter une solution structurée : par exemple essayer de développer plus de passerelles avec les entreprises pour qu'ils s'engagent et acceptent ce type de publics en prenant en compte l'idée de cette moindre rentabilité.

Témoin non identifié : L'idée serait de donner du temps aux entreprises pour pouvoir employer ce type de publics, avec un accompagnement fait par des professionnels.

Idée d'un label, ou d’une charte ? Les entreprises qui jouent le jeu, accueillent ces personnes plus lentes. La difficulté est quand on doit passer au CDI : comment s’engager dans la durée pour une personne qui ne va pas progresser ?!

JP Paveau : Il faudrait envisager une baisse de charge pour les entreprises qui embauchent ces publics spécifiques.

Alain Poncet : La France a répondu par des marchés à clause sociale. Comment faire pour que ces personnes aillent et RESTENT dans les entreprises ? Ce serait bien qu'on puisse faire de l'insertion directement dans les entreprises (ACI dans les entreprises).

Dans le Hors les murs on fait aussi de l’immersion individuelle en entreprises et l’ACI assure l’accompagnement.

« Un gars en difficulté au milieu d'autres gens comme lui se comporte comme à la maternelle. Seul, il se comporte différemment. »

Comment faire pour ne pas stigmatiser ces publics dans l’entreprise et ce au long terme ?

Alain Poncet : Au début, il y a forcément des a priori, mais les regards changent très vite en positif.

2 exemples concrets :

 

  • Chez Lidl, dès qu’il y eu un problème (ex : vol) au début c’était Solid'action qui était dénoncé. Or il y a des caméras dans les magasins, et ont pu prouver que ce n'était pas eux. + reconnaissance du sérieux de l’intervention de l’équipe, et de la bonne prise en charge des problèmes par Solid'action (si un gars vole, il trinque).
  • Une personne qui bossait de nuit chez Sodexo pour le ménage : il y a eu de la bienveillance qui s'est développée dans l’entreprise autour de cette personne. Lors de son décès, tout Sodexo est venu à l'enterrement + Solid'action, et personne d'autre !

 

Perspectives futures

Alain Poncet : Il y a peu de chantiers qui accueillent ces publics les plus en difficulté, on est plutôt sur un non accueil dans les ACI. Or, il va y avoir une baisse du chômage dans les prochaines années, les employeurs seront moins difficiles. Nous aurons moins longtemps, voire pas du tout les gens les plus employables. Les ACI vont avoir de + en + ces publics plus compliqués et plus difficiles, il faut s’y préparer.

Témoin non identifié : cette situation a déjà été vécue en 2007-2008

Alain Poncet : le Ministère a été très intéressé par l'expérimentation EPIDA / Hors les murs. Il y a une possibilité que ça bouge avec Macron et on est à 10% de chômage : allez voir les UT pour proposer des choses !

 

3. Synthèse par mots clés

  • Pertinence de l’allongement du temps de parcours pour certains
  • Rôle clé d’un outil de diagnostic de qualité (complet et objectif) pour argumenter
  • Difficulté à mettre en place / identifier cet outil de diagnostic de qualité : construction ou modélisation d’un outil à imaginer en mutualisation dans le réseau ?
  • Inventer des nouvelles formes d’intégration de l’IAE au cœur de l’entreprise = facteur clé de succès
  • S’inspirer du secteur du handicap
  • Importance de pouvoir faire varier le temps de travail selon les publics. Différents dispositifs qui existent pour cela (AI, CUITR, CUI-CAE, AVA, OACAS…)
  • Rôle du département sur les financements
  • Problématique des publics moins rentables (ex : lents), dispositifs à inventer avec les entreprises
  • Une tendance du futur à accueillir de plus en plus de personnes fortement précarisées dans les ACI
  • Etre force de proposition auprès de l’Etat

 

4. Commentaire de l’animateur de l’atelier

Il faut souligner la difficulté des participants à imaginer et proposer des dispositifs nouveaux, notamment les professionnels dont la seule activité concerne les Jardins.
Ceux qui proposent déjà un ensemble ou une diversité de propositions d’insertion comme les
« gérants » de CHRS, sont plus à l’aise notamment dans le « mixage possible » de dispositifs existants et dans le repérage ciblé de manques.

à N’y aurait-il pas dès lors un besoin de formation des responsables de Jardins à une ingénierie des dispositifs d’insertion ?