Travailler à tout prix?
Le Club d’entreprise “Elemiah” créé par le site Ecopole alimentaire et les Anges gardins était réuni ce 19 mars 2019 à Loos-en-Gohelle en plein cœur du bassin minier au Ménadel-Saint-Hubert, nouveau « tiers lieux » à vocation alimentaire ouvert il y a quelques semaines par les associations d’insertion.
La thématique portait sur le travail avec l’invitation de Christian Du Tertre du laboratoire Atemis et une discussion avec les représentants d’entreprises, d’associations et de collectivités présentes. Dominique Hays, directeur de l’Ecopole alimentaire et des anges gardins, rappelait que les résultats insertionnels (sorties positives) se montaient à 70% cette année et que pour autant la question se pose de savoir si les personnes en insertion sont bien « ré-insérées » dans le monde du travail. En ce sens, « le travail est constitutif de la personne, quand on fait de l’IAE, on se rend compte que le monde du travail a des exigences intimidantes, il ne parvient pas toujours à faire grandir les personnes. Il est donc intéressant d’y réfléchir avec les entreprises du bassin minier qui fournissent justement les emplois, avec l’angle de la transition écologique et sociale pour un développement économique inclusif. Quel développement économique local dans un monde globalisé générateur de délocalisations. »
Pour Christian Du Tertre, professeur d’économie et directeur scientifique du laboratoire Atemis, « les grandes fonctionnalités de la vie sont en jeu ici avec la thématique du bien vivre alimentaire, on a donc besoin de nouveaux modèles pour y répondre. »
Verbatims :
« Il n’y a pas de richesses sans travail, considéré comme une activité et non un statut ; c’est l’exemple des activités produites ici de production agricole primaire, de transformation, de formation, d’animation etc. il y a production de services du point de vue d’une activité insertionnelle. C’est ce qui est intéressant. »
« Attention cependant, toute activité humaine ne fournit pas de la richesse, elle peut en détruire, il n’y a qu’à regarder les effets des traitements chimiques sur la biodiversité et la fertilité des sols. Il est donc important de comprendre à quoi on contribue par notre activité, vers où l’on va ! C’est cette question qu’il faut mettre en débat et qui souvent ne l’est pas, d’où la perte de sens au travail. »
« D’où l’intérêt d’un tel club d’entreprises pour discuter ensemble de cette utilité par rapport aux enjeux fondamentaux, c’est un lien social qui se construit entre les acteurs à la condition qu’ils travaillent un « sens commun » dans leur action collective, un lieu créé pour débattre des attentes respectives des métiers et des positions, ensuite vient la recherche des coopérations. »
« Le 3ème enjeu est la question de la réalisation de soi-même dans le travail. Cet engagement personnel ne va pas de soi car le travail réel n’est pas visible, le résultat des efforts n’est pas souvent proportionnel, déceptif surtout si l’on doit comment certains résultats sont le produit d’un contexte particulier… la chance ? »
« Comment va-t-on faire avec ce paradoxe ? il faut mettre en place des dispositifs de reconnaissance du travail réel sinon c’est la souffrance au travail qui apparaît comme absence de reconnaissance, on est bien loi là des systèmes évaluatifs des performances des salariés. On cherchera à mettre en place une organisation réflexive avec des retours d’expériences comme espaces d’écoutes et de compréhensions. »
« Cette souffrance au travail fait notamment de notre pays le premier pays consommateur d’anti dépresseurs, génère sinon le repli ou parfois la violence contre les autres. »
« Réenchanter le travail ? lui redonner du sens comme un mouvement c’est indispensable mais ça ne suffit pas, il faut des formes d’organisation de reconnaissance du travail réel. La dimension politique est là important, pas politicienne, mais bien un questionnement sur l’ère post-industrielle, quels services rend t-on ? La démocratie sociale ou sociétale est bien l’enjeu pour discuter de la finalité de ce que l’on fait individuellement, exemple du bien vivre alimentaire. »
« Enfin comment on coopère ? Être à l’écoute des contraintes et intentions des autres pour pouvoir faire ses propres choix. C’est un modèle des fonctionnalités de la vie. »
Tout ne se mesure pas ici, il s’agit de mettre en évidence les logiques immatérielles stratégiques en jeu (compétences, agencements) associées aux métriques plus classiques (données éco notamment). Le chercheur appelle à savoir identifier les signaux faibles, les événements, les récits et faisceaux d’indices amenant à objectiver les valeurs immatérielles pour penser le développement local.